Plaisir de lire, désir de plaisir

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Une partie de notre jeune génération gavée d’images, tend à considérer la lecture comme un loisir révolu, voir carrément élitiste.

Cette considération peut paraître absurde, mais reste compréhensible. Chez l’enfant, l’image de la littérature reste souvent attachée aux contraintes scolaires. Son côté obligatoire dégoûte plus qu’il ne stimule.
Soumise depuis plusieurs années à une rude concurrence sur le marché des loisirs, elle a perdu son côté universel pour devenir le privilège de quelques uns.

Au cours de mes années collège, les manuels de français mis à la disposition des élèves me paraissaient avoir vécu un siècle. Génération après génération, ces bouquins avaient fini par capter l’odeur vieillotte des salles de classes.

La plupart de ces ouvrages avaient vocation à stimuler un potentiel désir de lecture. Et de quelle façon ! Je revois au détour d’une page jaunie, le portrait granuleux d’un robert Sabatier tout en pipe et lunettes, dont l’œil malicieux s’étalait sous un extrait des « Allumettes suédoises ». L’ensemble était ponctué par une description élogieuse du « Bonheur de lire ».
J’avoue sans rougir avoir été rebuté par cette approche poussiéreuse de la question. Une odeur de vieux était montée à mes jeunes narines. C’était foutu. Quant à Robert Sabatier, ce souvenir m’a depuis empêché de faire plus ample connaissance. À tort c’est certain.

Donc à plaisir d’autrefois, communication d’autrefois ? Surtout pas ! Il suffirait de peu pour redonner un coup de jeune à l’image de la littérature.

Voici quelques idées dans le désordre.

1) Le désir de lecture doit rester motivé par une pulsion intime.
Rien n’est plus contre productif que de dire à quelqu’un « avant de lire ceci, tu devrais lire cela ». Cette attitude ne fera que culpabiliser le jeune lecteur et éteindre son désir.

2) Le pouvoir de suggestion de la lecture permet de se reconnecter avec son imaginaire.
Si l’on considère l’audiovisuel comme du rêve prémâché, quel plaisir de rester le seul maître du petit théâtre qui défile dans notre esprit à mesure que les mots s’imprègnent.

3) Nos séries contemporaines n’ont rien inventé.
Le principe du feuilleton qui consiste à découper une histoire en maintenant le suspens d’un épisode à l’autre fut proposé par la presse du 19e siècle. La bande dessinée des années 50 a aussi beaucoup abusé du processus.
Il fallait vendre du papier dans un contexte de concurrence accru. Le souci d’efficacité était déjà motivé par les questions d’audience.

4) Du coup la culture populaire regorge de romans oubliés ou méconnus,
dont beaucoup allient accessibilité du style et qualité de l’histoire. Au delà des classiques de Dumas, on pourra recommander les romans de Paul Feval ou Michel Zevaco dont beaucoup ont d’ailleurs été adaptés au cinéma.

5) L’accès aux classiques peut passer par des œuvres plus modernes.
Par exemple, « Le plus grand philosophe de France » de Joann Sfar donne envie de découvrir Spinoza.

6) N’oublions pas le roman graphique !
En s’inscrivant au carrefour de la bande dessinée et de la littérature il peut devenir une formidable introduction au monde des livres. Will Eisner a donné ses lettres de noblesse au genre en publiant « Le contrat » en 1978. Une multitude d’œuvres ont été publiées depuis.

7) Le livre crée un formidable pont entre les générations.
La plupart des romans dits classiques ont souvent été écrits par des auteurs contemporains de l’époque qu’ils décrivent. Par exemple, l’aperçu que Zola nous donne des Halles dans le Ventre de Paris pourrait être considéré comme un reportage d’actualité.

8) Beaucoup de grands films restent des adaptations de romans.
Quand les cinéastes n’ont plus d’idées, ils puisent souvent dans l’extraordinaire vivier du livre.

9) Les romans restent encore le seul véritable espace de liberté créative.
Les auteurs peuvent se permettre d’écrire ce qu’ils veulent sans aucune conséquence budgétaire. Cela ouvre un domaine des possibles sans limites.

10) Lire reste un plaisir peu onéreux.
Certaines librairies proposent de nombreux ouvrages d’occasion pour moins de 1 euro. Un passage chez « Boulinier » Bd Saint Michel à Paris convaincra les plus sceptiques.

La lecture, comme n’importe quelle activité, doit rester liée à la notion de plaisir. Rien ne sera possible autrement. Il existe une variété de styles telle que chaque sensibilité pourra trouver son compte.

Dans les faits, tout n’est pas perdu. Les statistiques de lecture en 2017 sont supérieures à celles de 2015, en particulier chez les 15-24 ans. Nous ne pouvons que nous en réjouir.