Devenez un peintre maudit

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Trop d’incompréhensions et d’alcools ingérés vous ont lassé de votre nouveau statut d’écrivain maudit ? (voir)
Le ridicule vous a laissé en vie ? Vous envisagez une reconversion en grande pompe ? Persuadé qu’aucun art ne saurait vous résister, la peinture sera donc votre nouveau dada ! Voici donc quelques conseils pour parvenir à vos fins et alimenter votre nouvelle légende… posthume cela va de soi.

Vous ne savez pas dessiner ? Qu’importe ! Barbouillez, collez, griffonnez au fil de votre instinct. Devant les interrogations de votre public, froncez les sourcils et évoquez une déstructuration du réel, votre expérience du monde ou le point de vue de votre âme. Tout ça bien sûr, dans votre barbe que vous porterez longue.

N’hésitez pas à abuser d’une même couleur. Tels les Simpsons période jaune ou Picasso période bleue, votre choix se portera sur les tubes les moins chers. La postérité évoquera ainsi votre début de carrière « fuchsia foncé » les larmes aux yeux !

Soyez un incompris ! Ou du moins incompréhensible dans vos explications. Qu’importe si vous n’avez rien à faire comprendre, cela fait toujours son petit effet.

Gardez vos pires croûtes retournées face au mur ! À l’image de Picasso avec ses Demoiselles d’Avignon, vous balayerez les questions la mine sombre, en prétextant que le public n’est pas prêt.

Trouvez un bon marchand d’art ! Fauché et maudit comme vous, il ne manquera pas d’avoir le sens du business… en particulier après votre mort qu’il vous souhaitera tragique et précoce.

Tel Modigliani, détruisez de temps en temps vos œuvres ! Procédez de préférence devant la porte ou la cour de votre immeuble, à grands renforts de larmes et de jurons. Buzz et montée des prix garantis !

Choisissez un quartier où traîner vos savates crasseuses ! Tout a déjà été fait à Montmartre et Montparnasse, mais dans votre cas, la rue Mont «orgueil» semblerait appropriée. Notez aussi que la porte de Bagnolet reste disponible.

Trouvez une cantine indulgente qui vous nourrira pour presque rien. N’omettez pas de régler vos ardoises avec vos nombreux carnets de croquis. Sait-on jamais, après votre mort (tragique et précoce), peut-être auront-ils survécu aux rongeurs de la cave.

Nourrissez-vous tant que vous pouvez de sardines à l’huile! Vous prendrez soin de laisser traîner les boîtes vides sur le sol de votre atelier. Cela motivera marchands et mécènes, lesquels, comme chacun sait, n’en font jamais assez, à se bouger un peu pour votre génie.

Sortez le soir ! Soûlez-vous ! Éructez ! Interpellez le bourgeois. Tout ça de préférence dans une mystérieuse langue étrangère. Ainsi lorsque votre mort (tragique et précoce) vous aura rendu célèbre, les mauvais coucheurs du quartier qui vous traitaient de clochard, se souviendront de vous comme l’un de ces délicieux excentriques qui font le sel de Paris. Certains se flatteront même de vous avoir bien connu.

Vous picolez ? Comme vos prédécesseurs parisiens, proposez de peindre les murs et colonnes de vos bistrots préférés ! Cela allègera vos additions et fera plaisir aux héritiers des tripots qui auront supporté vos excès durant vos maigres années.

Prenez une jeune maîtresse que vous baptiserez muse ! Issue d’un milieu bourgeois et conservateur, vous aurez pris soin de l’attirer dans vos filets en titillant sa fibre artistique et ses pulsions rebelles. Ses parents, après l’avoir chassée du domicile, seront inquiets de la savoir avec vous. Nul doute qu’ils ne finissent par se résoudre à subvenir aux besoins de votre couple.

Enfin, veillez à bien rester maudit plus que raté ! Comme l’Histoire du vingtième siècle nous l’a hélas enseignée, vous risqueriez de laisser à la postérité une empreinte beaucoup plus tragique (et non précoce) que prévue.