Gérer sa vie comme le professeur Mortimer

©Blake&Mortimer
André Julliard©Blake&Mortimer

« Blake et Mortimer » ! Une série qui fleure bon le charme désuet des années cinquante ! Publiée dans le journal Tintin en 1946, la modernité des premières pages du « Secret de l’Espadon » constitua un véritable choc pour les jeunes lecteurs. Ancien assistant d’Hergé, Edgar Pierre Jacobs venait d’ouvrir une nouvelle page de l’histoire de la bande dessinée. L’auteur, dont l’exigence était proportionnelle au soin qu’il apportait à ses histoires, disparut en février 1987, après avoir réalisé sept albums légendaires. À partir des années quatre-vingt-dix, la série sera reprise par d’autres auteurs, lesquels s’évertueront à préserver ce degré d’exigence qui en fait une partie du sel.

Le professeur Philip Mortimer est donc un homme de son temps, bien ancré dans une période où l’on pouvait encore avoir connu deux conflits mondiaux et quelques guerres coloniales. Habitué aux privations, cet érudit à la personnalité bien trempée fut contraint d’apprendre à s’adapter et à garder son flegme en toutes circonstances. Au-delà d’un style, Mortimer représente aussi une façon de construire son expérience à travers ses rapports sociaux. Sa façon d’être reste régie par un certain nombre de règles. Si vous considérez que cette époque survoltée n’est pas la vôtre, si la frénésie ambiante vous met mal à l’aise, pas d’inquiétude. Nous nous réjouissons à l’avance de vous sortir de ce mauvais pas ! Les lignes qui suivent vous apprendront à relever la tête, rentrer le ventre, et adopter quelques principes qui feront de vous un homme nouveau. À ce rythme, nul doute que vous stimulerez vos qualités intellectuelles, redéfinirez votre place dans la société et perdrez quelques kilos superflus.

Le style commence par le choix des mots. Aux traditionnels « Merde » ou « Putain », on préfèrera « Diable ». Évitez au passage les « Diantre », « Fichtre » et autres « Bigre », dont l’aspect parodique pourrait desservir vos exclamations. En cas de difficulté, plutôt que de débiter un torrent de grossièretés, il vous suffira de lever un sourcil et prononcer un « Diable ! Voilà qui est fâcheux ! », plus élégant face à l’épreuve.

S’il vous arrive de vous tromper ou de vous casser la figure, n’hésitez plus à lancer « Et bien me voilà propre ! ». Cela sera toujours plus pittoresque que vos jurons habituels.

Un collègue vous ennuie ? À la place de « sale con », décrivez le plutôt comme « un rude coquin », dont  vous ne manquerez pas de fustiger le « toupet ».

En cas de grève de transport, faites contre mauvaise fortune bon coeur. Dites-vous « qu’un peu d’exercice vous fera le plus grand bien ». Optez donc pour la marche à pied, formidable stimulant physique et intellectuel.

Passionnez-vous pour divers sujets, et soyez exigeant quant aux sources d’information. Fréquentez les bibliothèques et privilégiez les publications scientifiques proposées par des spécialistes, avec lesquels vous nourrirez une correspondance soutenue.

Sachez aussi vous entourer d’éminentes personnalités (professeurs, chercheurs, auteurs) dont vous jugerez les travaux « tout à fait remarquables ». Prenez l’habitude de les rencontrer autour d’un dîner ou d’un verre pris dans le confort de ce « club de gentlemen » que vous ne manquerez pas de fréquenter. Leur précieuse amitié nourrira votre propre discipline, dans laquelle bien sûr, vous excellez.

Commencez ou ponctuez votre correspondance par des « Mon cher… » qui valoriseront vos interlocuteurs les plus estimables.

Enfin travaillez encore et toujours, afin de devenir vous-même un estimable interlocuteur dont on recherchera la compagnie.

Pour conclure, le port du collier de barbe et l’usage de la pipe restent facultatifs.

Oh, je vous entend d’ici mais n’en ferai rien.
Tout le plaisir est pour nous ! répondirent en coeur les joyeux Cahiers Capricornes.