Fantômas ! Maître du crime

1910. Fantômas fait régner la terreur sur Paris. Ce maître du crime aux mille visages, se heurte à l’acharnement du policier Juve et du reporter Jérôme Fandor. Les deux hommes sont aidés dans leur traque par Hélène, fiancée du journaliste et propre fille du criminel.

Si son image reste aujourd’hui très liée à de Funès et au masque bleu des comédies d’Hunebelle, beaucoup ne connaissent plus la véritable histoire de ce génie du crime si populaire à l’aube de la première guerre mondiale.

Un boa tueur en plein Paris, des gants en peau humaine, des roses noires empoisonnées, une main coupée sur un rail, un prince retenu captif dans une fontaine et bien d’autres choses… Oui c’est Fantômas !

Fantômas, ce sont des dizaines d’identités, des centaines de crimes abominables.
Fantômas, ce sont 32 romans écrits en l’espace de trois ans au cours desquels le diabolique personnage parvint à se hisser aux sommets de la culture populaire du vingtième siècle.
Un peu oubliée aujourd’hui, cette figure emblématique du Paris de la Belle Époque fut un énorme succès de librairie dont nous sommes heureux de vous faire découvrir les coulisses de la création.

Vous retrouverez aussi en fin d’article toutes les archives sonores et video que nous avons pu rassembler.

 

GENÈSE

Fantômas c’est avant tout deux hommes. Pierre Souvestre et Marcel Allain.
Le premier, né en Bretagne en 1874, était journaliste sportif. Passionné de technique, il possédait deux garages, organisait des courses et écrivait pour plusieurs journaux.
Cet homme installé avait recueilli comme secrétaire le tout jeune Marcel Allain, juriste de 11 ans son cadet, chassé par son père après lui avoir annoncé vouloir faire carrière dans le journalisme.
Mis en contact par une amie commune, les deux hommes entameront dès 1907 une fructueuse collaboration. D’abord cantonné aux tâches de prête plume, Allain fut assez vite amené à cosigner leurs œuvres communes. En 1909 paraîtra le Rour, leur premier feuilleton présenté comme un grand roman sportif et policier.

Pour l’anecdote, Marcel Allain s’installera au 1 rue Tardieu (Paris 18), juste au dessus de chez Souvestre et sa compagne Henriette Kistler. Cette adresse sera également celle du futur commissaire Juve, ennemi juré de Fantômas.

Pierre Souvestre (1874-1914)
Marcel Allain (1885-1969)

FANTÔMAS

En 1905, les éditions Fayard avaient lancé le Livre Populaire au prix de 65 centimes. Ces volumes « jetables », imprimés sur du mauvais papier n’étaient pas fabriqués pour durer, mais représentaient une petite révolution éditoriale.
Le succès colossal de la collection poussait la société à proposer toujours plus de nouvelles séries.
Dans ce contexte, Souvestre fut un jour convoqué par le puissant éditeur au siège de l’entreprise situé rue du Saint Gothard (Paris 14).
Selon Marcel Allain qui l’attendait ce jour là au coin de la rue, son camarade revint un peu dépité de l’entretien.
« C’est un fou ! Il veut une série de romans avec un personnage récurrent, qui pourraient se lire à la suite ou indépendamment… Bref cela n’a aucun sens ».

Bien évidemment, dès le lendemain chacun avait un sujet. Le débat fut intense et les deux idées mixées débouchèrent sur un feuilleton « qui ma foi n’était pas mal », toujours selon M. Allain.

Manquait encore le titre.
Là encore existent certaines controverses. Je m’en tiendrai à la version de Marcel Allain.
Le pitch bouclé devait être présenté à Fayard. Le jour du rendez-vous, au cours du trajet en métro, Souvestre prit son carnet, nota FANTOMÛS en grandes lettres, puis l’observa sous tous les angles visiblement satisfait de sa trouvaille. Son écriture fut-elle altérée par les chaos de la rame ? Nul ne saurait le dire.
Une fois dans le bureau de l’éditeur, Souvestre lui présenta la page sur le mode «Qu’est ce que vous dites de ça ?». Ce à quoi ce dernier aurait répondu au bout d’un instant : « FANTÔMAS, c’est très bien ! »

 

ÉCRITURE

Commence alors pour les deux compères un marathon qui durera trois ans. Le contrat de Fayard (reproduit plus bas) leur imposait la livraison d’un volume de 400 pages par mois, ni plus ni moins.
Pour y parvenir Souvestre et Allain imaginèrent une méthode pour le moins novatrice.
Une fois le plan général du livre défini, ils se répartissaient l’écriture des chapitres qu’ils dictaient sur une toute nouvelle machine à rouleaux de cire : le Business Phonograph Edison.
Le rythme ne devait pas faiblir – seize pages par jour environ retranscrites la nuit par une équipe de dactylographes.

La légende raconte que pour s’y retrouver, les débuts de chapitres de Souvestre contenaient un Toutefois et ceux d’Allain un Néanmoins.
Cette cavalcade épuisante ne se relâchera qu’au bout de trente deux romans !
Le 20 septembre 1913 paraît La fin de Fantômas qui révèle enfin les véritables origines du génie du crime.
Très peu de temps après, Pierre Souvestre décèdera en février 1914 d’une brutale congestion pulmonaire à seulement trente neuf ans.

Après une période de vaches maigres, Marcel Allain désormais seul, lancera de nombreux projets au cours des décennies suivantes sans jamais vraiment retrouver le succès de Fantômas. En 1926, il tentera même une reprise de la série. Onze nouveaux volumes paraîtront jusqu’en 1963.
Marcel Allain se décrivait volontiers comme un écrivassier plutôt qu’un écrivain. Il donnera beaucoup d’interviews au cours de sa vie, dont l’une est disponibles plus bas.
Après son décès le 25 août 1969, son œuvre (écrite ou supervisée) sera estimée à plus de 400 romans.

 

LES ROMANS

Fantômas s’inscrit dans la grande tradition des feuilletons et romans populaires que s’arrachaient les journaux au début du 20esiècle.
Héritiers directs de Paul Féval ou Ponson du Terrail, chaque histoire écrite à deux cent à l’heure ne laissait aucun répit au lecteur. Contre toute attente, cette série pourtant grand public, reste d’une incroyable noirceur. Les crimes de l’insaisissable sont souvent d’une effroyable brutalité.

La couverture du premier volume avait été inspirée par une publicité pour les pilules Pink, sur laquelle un homme en frac dominait Paris en répandant ses pastilles.
Sa corne d’abondance fut remplacée par un poignard et le tour fut joué. Effet garanti !
Lancée à grand renfort de publicité, la série connaîtra un succès fulgurant. Les premiers volumes s’arracheront à un point tel que Marcel Allain racontait volontiers avoir cru à une erreur en découvrant le montant exorbitant de son premier chèque.

L’occasion m’est ici fournie de rendre hommage à Gino Starace, génial illustrateur, dont le travail sur les couvertures de Fantômas eut un impact considérable sur l’imaginaire collectif. (voir plus bas)

Du propre aveu des auteurs, le rythme d’écriture et les exigences d’un public populaire impliquaient des intrigues menées tambour battant au détriment parfois de certaines vraisemblances.
Si les rebondissements, figures de styles ou trouvailles rocambolesques peuvent prêter à sourire aujourd’hui, on ne boudera pas son plaisir.
Le charme opère et l’efficacité ne faiblit jamais.

Sa conception proche de l’écriture automatique avait alors attiré l’attention de nombreux artistes qui y voyaient l’apogée d’une certaine forme de surréalisme. Desnos et Cendrars, entre autres, lui consacreront des poèmes, tandis qu’Apollinaire créera même une Société des amis de Fantômas.

Fantômas est aussi une épopée profondément ancrée dans une époque.
Au delà de la performance, le principal intérêt de l’oeuvre réside en sa description du Paris 1900, époque charnière à laquelle le progrès technique galopait aussi vite que se creusaient les inégalités sociales.
À l’Est de Paris, la misère de certains quartiers avait vu fleurir de nombreuses bandes d’Apaches souvent rivales. Les crimes étaient nombreux et les procédés souvent originaux. La presse faisait ses choux gras de faits divers spectaculaires et attentats anarchistes qui terrorisaient le bourgeois.
La réalité dépassait parfois la fiction à tel point que Souvestre et Allain s’en inspiraient bien souvent pour imaginer les atrocités du génie du crime. Ils avaient ainsi coutume de conserver dans une boîte, diverses coupures de presse censées nourrir leurs histoires.
Cette « armoire aux trucs », dont certains historiens avaient fini par remettre en cause l’existence sera finalement retrouvée dans un garage en 1970 un an après la mort de Marcel Allain.
Aussi, les deux auteurs ne manquaient jamais une occasion d’appuyer leurs récits sur les derniers progrès de la modernité. Électricité, téléphone, voiture, métro, train, paquebots, Fantômas utilise tous les moyens à sa disposition pour réaliser ses méfaits.
Son adversaire acharné, le policier Juve n’hésite pas non plus à mettre les techniques policières les plus récentes au service de la traque du monstre.
La série marque ainsi véritablement l’entrée dans le vingtième siècle.

 

POSTÉRITÉ

Au fil du temps, les romans reparaîtront dans des versions plus ou moins expurgées, parfois sous différents titres.
Plusieurs adaptations au cinéma verront aussi le jour. Les premières et les plus fidèles restent celles de Louis Feuillade (disponible plus bas) qui adaptera à la lettre les cinq premiers romans en 1913.
Suivra une tentative avortée avec la Fox dans les années 20, puis en 1932 un film de Paul Fejos qui déclenchera l’ire de Marcel Allain désormais seul gardien du temple, très insatisfait du résultat.
Quant aux célèbres comédies des années 60, Allain s’insurgera encore une fois du traitement comique infligé à son héros et gagnera un procès qui contribuera à mettre un terme à l’aventure au bout de trois films.
Fantômas à Moscou, quatrième opus prévu ne sera donc jamais mis en chantier.
Chabrol réalisera à son tour une série en 1980, puis plus rien. Aucun projet développé par la suite n’aboutira.

 

FANTÔMAS AUJOURD’HUI

Un peu tombé dans l’oubli, les versions intégrales des 20 premiers volumes ont été rééditées en 2013 dans la collection Bouquins sous la supervision de Mathieu Letourneux et Loïc Artiaga.
Les 12 suivants restent disponibles dans la même collection depuis 1987.
Quant aux 11 derniers numéros écrits par Marcel Allain seul, ils ne semblent jamais avoir été réédités.

À titre personnel, je me souviens avoir lu quelque part une comparaison entre Fantômas et un énorme seau de cacahuètes. Rien ne pourrait mieux correspondre à mes yeux.
Trop gras et trop salé, on ne peut pas s’empêcher de finir le pot une fois commencé.

Mais pour conclure, je laisserai le mot de la fin à Marcel Allain.
« Fantômas fait peur ! C’est le parfait résumé des 43 volumes de la collection. »

À vous de juger

Nicolas Bonnell

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DOSSIER

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BIBLIOGRAPHIE

Fantômas ! Biographie d’un criminel imaginaire.
Loic Artiaga & Mathieu Letourneux – Les prairies ordinaires

Tu entreras dans le siècle en lisant FantômasDominique Kalifa – Editions Vendémiaire

 

NUIT SPECIALE FANTÔMAS – France Culture

Le must absolu pour entrer dans l’univers du génie du crime.
Au delà de l’interview de Mathieu Letourneux et Loïc Artiaga incluent une longue interview de Marcel Allain enregistrée en 1956.

 

FILMS DE LOUIS FEUILLADE (1913)

Retrouvez ci dessous trois films des cinq tournés par Feuillade disponibles sur Youtube.

 

ADAPTATION AUDIO DU PREMIER LIVRE

 

COUVERTURES DES LIVRES

cliquer sur une image pour accéder à la galerie.

 

CONTRAT

Contrat passé entre Pierre Souvestre et Arthème Fayard le 14 janvier 1911. Source – Francis Lacassin, in Europe, numéro spécial 590-591, juin-juillet 1978, p. 4-6

Ces romans seront publiés par M. Fayard sous la forme de volumes du prix de soixante-cinq centimes, paraissant mensuellement, comprenant de quinze à dix mille lignes, et formant chacun un tout complet, de façon à pouvoir être lus aussi bien séparément qu’à la suite les uns des autres.

Monsieur Pierre Souvestre s’engage à écrire jusqu’à vingt-quatre de ces volumes, mais M. Fayard ne s’engage quant à présent que pour la publication cinq volumes, se réservant suivant le succès obtenu soit d’arrêter, soit de continuer, et dans ce cas de fixer le nombre de volumes à faire.

Comme droits d’auteur, monsieur Pierre Souvestre recevra de M. Fayard une somme de deux mille francs par volume à soixante-cinq centimes et pour un tirage à cinquante mille exemplaires net, soit cinquante-cinq mille avec les passes d’usage.
Si le tirage dépasse cinquante mille exemplaires, M. Pierre Souvestre touchera trois centimes par exemplaire tiré au-dessus de ce chiffre, déduction faite de la passe et cela au fur et à mesure des tirages.

En cas de retard pour n’importe quelle cause que ce soit M. Fayard pourra continuer l’ouvrage par un auteur de son choix, sans être tenu à aucune indemnité vis-à-vis de M. Pierre Souvestre qui, naturellement, perdrait tous ses droits sur les volumes non écrits par lui.

 

LISTE DES ROMANS

Fantômas (1911)
Juve contre Fantômas (1911)
Le Mort qui tue (1911)
L’Agent secret (1911)
Un Roi prisonnier de Fantômas (1911)
Le Policier apache (1911)
Le Pendu de Londres (1911)
La Fille de Fantômas (1911)
Le Fiacre de nuit (1911)
La Main coupée (1911)
L’Arrestation de Fantômas (1911)
Le Magistrat cambrioleur (1912)
La Livrée du crime (1912)
La Mort de Juve (1912)
L’Évadée de Saint-Lazare (1912)
La Disparition de Fandor (1912)
Le Mariage de Fantômas (1912)
L’Assassin de Lady Beltham (1912)
La Guêpe rouge (1912)
Les Souliers du mort (1912)
Le Train perdu (1912)
Les Amours d’un prince (1912)
Le Bouquet tragique (1912)
Le Jockey masqué (1913)
Le Cercueil vide (1913)
Le Faiseur de reines (1913)
Le Cadavre géant (1913)
Le Voleur d’or (1913)
La Série rouge (1913)
L’Hôtel du crime (1913)
La Cravate de chanvre (1913)
La Fin de Fantômas (1913)

Par Marcel Allain seul

Est-il ressuscité ? (1926)
Fantômas roi des recéleurs (1926)
Fantômas en danger (1926)
Fantômas prend sa revanche (1926)
Fantômas attaque Fandor (1926)
Si c’était Fantômas ? (1933)
Oui, c’est Fantômas !… (1934)
Fantômas joue et gagne (1935)
Fantômas rencontre l’amour (1946)
Fantômas vole des blondes (1948)
Fantômas mène le bal (1963)