Cauchemars métropolitains
Né en 1976 à Paris, je suis l’un des rares véritable Parisiens que je connaisse.
De nombreuses images bercent encore le souvenir de mes premières années. Au delà des écoles, commerces et enseignes, mes premiers voyages en métro m’ont profondément marqué. De ces trajets me restent le souvenir de stations oranges (dont j’appris plus tard qu’il s’agissait du style Mouton-Duvernet), de l’image d’un lapin se coinçant les doigts dans les portes, et d’une forte odeur de plastique chauffé. Je ne le savais pas encore, mais ces premières sensations m’avaient ouvert la porte d’un monde pour lequel j’éprouverais bientôt une indécrottable fascination.
Les années passèrent. Mes trajets métropolitains restèrent épisodiques jusqu’à mon entrée au collège. Je résidais alors non loin de la porte de Champerret et empruntais la ligne trois pour me rendre à l’école, située rue Cardinet. Trois stations me séparaient de ma destination : Pereire, Wagram, Malesherbes. Au-delà, c’était l’Australie… Durant mes trajets, je gardais souvent les yeux rivés sur le plan de la ligne placé au-dessus des portes. Mon jeune esprit se perdait en mille conjectures à propos de la suite de ce parcours dont je ne connaissais qu’une portion préliminaire.
L’apparence des stations me préoccupait au point de devenir une véritable obsession. À quoi ressemblait Europe ? Qu’en était-il de République ? Les murs de la station Parmentier étaient-ils recouverts d’un treillage comme il me semblait l’avoir aperçu un jour de sortie scolaire ? En y repensant, on ne devrait jamais cesser d’avoir dix ans.
Une distraction feinte me permettait parfois d’oublier mon arrêt et pousser quelques stations plus loin – à Louise Michel ou Villiers par exemple, dont la hauteur inhabituelle des quais me faisait grand effet. Le sentiment d’avoir franchi une frontière interdite m’aidait à surmonter ma peur de l’inconnu.
Le fantasme avait pris une ampleur telle que ma grand-mère, fatiguée par mes questions, me proposa un jour d’effectuer un parcours complet – aller-retour je vous prie – sur l’ensemble de cette fameuse ligne trois, histoire de clore le débat. Fou de joie, je passai ainsi tout un mercredi après-midi à l’intérieur d’une rame, le nez collé à la vitre, dans l’attente fébrile de la prochaine station. Autre temps, autres mœurs, elle m’avait recommandé de ne jamais m’installer dans les wagons d’extrémités, plus exposés en cas d’accident. Je vous transmets le conseil au passage. Par les temps qui courent, sait-on jamais.
Cette étrange habitude me suivait également la nuit, à travers deux rêves récurrents que je fais encore parfois aujourd’hui. Le premier est assez classique : je descends dans le métro à ma station habituelle. Le train démarre, mais m’emmène sur une ligne inconnue… Nouvelles stations, nouveaux noms, et l’impossibilité de retrouver mon chemin dans ce labyrinthe. Le second songe est plus troublant. Immergé au cœur d’une station inondée, je dois nager à contre-courant pour atteindre le tunnel. Le niveau de l’eau dépasse légèrement celui des quais. Détail intriguant, aucune publicité n’apparaît sur la faïence des voûtes.
L’événement aurait pu demeurer enfoui dans les tiroirs de mon enfance. Cependant, une dizaine d’années plus tard, alors que je débutais mes recherches sur l’histoire d’un Paris disparu, je fus frappé par la découverte d’une photo de la station Madeleine prise en 1910, l’année de la dernière grande crue de la Seine, dont je n’avais jusqu’alors jamais entendu parler.
Je retrouvais chaque détail du décor de mon rêve : l’eau, les murs immaculés… il ne manquait que ma silhouette, flottant au milieu. Je devais me rendre à l’évidence : mes vies antérieures avaient été sans doute moins amusantes que le souvenir qu’il m’en restait !
NB

